L’urgence pour l’emploi existe, c’est François Hollande en personne qui l’a reconnue et décrétée lors de ses vœux aux français le 31 décembre dernier, avant de présenter le 18 janvier un plan de 2 milliards d’euros. Et qui pourrait le contredire, avec un taux de chômage dépassant presque systématiquement le seuil des 10% depuis 5 ans, dans un contexte de reprise économique encore insuffisante ?

A l’heure où la révolution numérique, avec sa cohorte d’innovations, bouleverse l’ensemble de l’économie mondiale, il est urgent de s’interroger sur cette difficulté française à retrouver durablement le chemin de la prospérité. Pourquoi le « tsunami » d’emplois et les gisements de croissance, théoriquement garantis à chaque changement majeur de paradigme économique, semblent devoir se faire attendre chez nous?

Sans doute faut-il voir, ici, les conséquences d’un logiciel social périmé, qui gagnerait à privilégier de nouveaux modèles d’organisation du travail plus agiles, au premier rang desquels émerge le portage salarial, véritable passerelle entre le salariat et le statut d’indépendant, en même temps que garantie solide contre le chômage de longue durée.

Forme d’activité innovante, le portage salarial permet en effet à des travailleurs indépendants d’exercer leur activité avec tous les avantages du salariat. Détaché auprès d’une entreprise pour laquelle il réalise des prestations diverses, le porté agit en toute autonomie dans le cadre de missions ponctuelles et adaptées à une vraie demande.

De part sa souplesse, le portage s’inscrit ainsi pleinement dans la logique de l’économie collaborative et numérisée, qui privilégie la flexibilité face à un consommateur éminemment volatil, intéressé avant tout par une prestation de services personnalisée.

C’est en favorisant durablement ce type de dispositif que nous pourrons garantir le retour sur le marché du travail de plusieurs catégories de demandeurs d’emploi aujourd’hui marginalisés par les rigidités inhérentes aux CDI, CDD et autres contrats de travail dits traditionnels, plus que jamais menacés de caducité à l’heure de l’« ubérisation ». Favoriser le portage salarial permettra également de garantir une véritable protection sociale à tous ces travailleurs « ubérisés » qui en sont aujourd’hui dépourvus, comme l’a explicitement reconnu François Hollande au cours de la présentation de son plan d’urgence pour l’emploi.

Le travailleur indépendant en portage salarial, accompagné dans ses démarches par des entreprises spécialement habilitées, peut aussi bien être un cadre en fin de carrière qu’un jeune actif sans qualification en train de s’insérer dans le monde du travail, preuve que le portage salarial s’adapte à des réalités très diverses!

Il est dommage que cette simplification de la relation de travail soit encore trop peu exploitée et encouragée par nos dirigeants politiques, alors même que le portage salarial a fait la preuve flagrante de sa capacité à créer des emplois de manière durable. Depuis sa consécration en 2008, date de son entrée dans le code du travail, ce statut a bénéficié à près de 400 000 français, avec un taux de progression annuelle de 35% ces deux dernières années.

L’annonce par le président de la République d’un « assouplissement » du régime du portage salarial, une semaine après la remise du rapport « Travail et emploi numérique » à Myriam El Khomri, marque une première étape qui va dans le sens de certaines recommandations émises depuis plusieurs mois par un secteur composé de près de 900 entreprises. Au-delà de la nécessaire « sécurisation » amorcée par l’ordonnance du 2 avril 2015, il est désormais nécessaire de sortir le portage salarial du carcan dans lequel il est né, en élargissant son champ à tous les métiers exercés avec le statut d’autoentrepreneur.

Conséquence logique, le législateur devrait aussi s’engager à supprimer la limite des 36 mois pour l’accomplissement d’une mission de portage et à abaisser le seuil de rémunération minimal des portés à 1 700 euros brut mensuel, ouvrant de fait ce dispositif aux non-cadres et aux travailleurs les moins qualifiés des zones rurales et de nos banlieues notamment. En faisant du portage salarial une bouée de sauvetage pour les chômeurs, la France pourrait s’aligner sur ses voisins européens. Rappelons qu’en comparaison des 60 000 travailleurs en portage dans l’Hexagone, on en retrouve plus de 500 000 au Royaume-Uni. 

Nous devons plus que jamais faire le deuil des modèles qui triomphaient à l’époque de nos parents et capitaliser, au contraire, sur le succès de dispositifs qui marchent, car en adéquation avec les exigences de notre temps. Comme l’a justement décrit Benoît Thieulin, Président du Conseil national du numérique, le numérique est « la meilleure illustration que le monde est en train de changer ». Et rien n’est plus décevant, voir frustrant que de se voir empêché de grandir.  

Guillaume Cairou
entrepreneur, fondateur et PDG du groupe Didaxis, Président de la Fédération européenne du portage salarial  

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