La contestation du projet de loi El Khomri exprime le malaise d’une jeunesse française étrangère au plein-emploi des Trente Glorieuses et qui n’a connu qu’un marché du travail sclérosé par le chômage de masse. Dans le même temps, cette jeunesse a été bercée par la mystique entrepreneuriale enveloppant les success-stories numériques. C’est en raison de ce double phénomène que l’ambition d’entreprendre envahit les discours et les projets professionnels. « Entreprendre », car les voies d’accès au salariat sont difficilement pénétrables, mais aussi parfois pour échapper au lien de subordination caractéristique de la condition de salarié.

Etudiante et étudiant en école de management, nous constatons une relative schizophrénie au sujet de l’entrepreneuriat en France ; en effet, deux discours s’entremêlent. Le premier consiste à rappeler sans cesse la complexité et l’importance de la fiscalité en France. Ce pays, pourvu des prélèvements sociaux les plus importants d’Europe, entraverait l’entreprise. Un second discours, d’autre part, exalte l’intensité du tissu entrepreneurial français, regorgeant de start-up. La France serait même un « paradis fiscal pour entrepreneurs » (Xavier Niel).

L’image fiscale négative de la France est largement désavouée par l’abondance des dispositifs y accompagnant les créateurs d’entreprise. Dans une note publiée pour notre association étudiante, PolitHEC , nous nous attachons à étayer cette allégation qui souhaite, sans naïveté, contrer le « French bashing » ambiant.

L’entrepreneur en France est éligible à une série d’aides directes, certes imparfaites mais efficaces, incitant largement à l’innovation. Les statuts de jeune entreprise innovante et de jeune entreprise universitaire, de même que le crédit d’impôt recherche, garantissent des exonérations fiscales et sociales significatives. Des aides spécifiques existent, ciblant par exemple les zones à urbaniser en priorité. Les TPE peuvent s’appuyer sur le régime de l’autoentrepreneur, aux dispositions sociales et fiscales simplifiées. De nombreuses subventions, comme l’Arce pour le demandeur d’emploi créateur d’entreprise, ainsi que des prêts aux conditions avantageuses, émanent des pouvoirs publics. L’Etat, les collectivités territoriales, bpifrance, l’Urssaf ou Pôle emploi concourent à ce foisonnement d’aides à la création d’entreprises en France. Les entrepreneurs bénéficient aussi indirectement de mécanismes (dispositifs ISF-PME et « Madelin ») incitant fiscalement les investisseurs à injecter des apports dans de nouveaux projets. L’écosystème des incubateurs, nombreux en France, contribue enfin à l’accompagnement des entrepreneurs.

Comment expliquer alors que ce dynamisme entrepreneurial français, favorisé par la puissance publique, ne se traduise pas dans les chiffres de la croissance et de l’emploi ? Le « paradis » hexagonal a ses angles morts. La pérennisation des jeunes pousses devenues PME bute sur les limites de l’intégration européenne, l’insuffisance du capital-développement en France et la disparition des niches fiscales qui interviennent surtout lors de l’amorçage. Les aides fiscales à la création, relevant souvent de régimes d’exception temporaires aux contours malléables, manquent de visibilité. Les incubateurs, souvent adossés à des institutions de l’enseignement supérieur, sont méconnus par celles et ceux n’ayant pas accès à ce dernier. Le régime de l’autoentrepreneur, innovation majeure de la politique d’encouragement de l’entrepreneuriat, déguise parfois des salariés. La Cour de cassation l’a reconnu en 2015, en requalifiant pour la première fois une prestation de service assurée par un autoentrepreneur en contrat de travail. La densification du tissu entrepreneurial est ainsi déformée par certains effets pervers d’un système d’incitations partiel, qui permet de substituer une création d’entreprise à une création d’emploi.

L’entrepreneuriat est donc une force française dont il faut se saisir – avec lucidité certes, mais aussi avec espoir.

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